Être dans le néant, réflexions sur l'éveil

« L’Éveil » ou Être dans le Néant…

Toutes les questions résument la question essentielle : « Qui suis-je ? » ou, de façon plus triviale, « Qu’est-ce que je fous ici ? ».
La vision de la substance de l’existence répond à cette question et avec elle, les autres questions, les angoisses, et les doutes, disparaissent… L’éveil à cette substance, qui est avant toute chose existante, efface les questions, efface le sentiment d’être étranger, et le sentiment d’être tout court. Car l’origine de l’existence n’existe pas. Il est possible que l’existence procède de ce néant, comme L’Être Suprême procède de l’Aïn Soph dans la Kabbalah. Le vide est en toutes choses et apparemment nulle chose ne pourrait être sans ce vide. Il ne peut être conçut par le mental et sa vision fulgurante suffit à anéantir l’existence telle qu’on peut la concevoir. Après, c’est comme avant, sauf qu’après n’existe plus ni avant ni après, juste ce vide qui prend toute la place et l’existence qui est, puisque c’est sa nature. Ce vide se manifeste par une sorte de spasme nerveux : le rire, la joie. La joie sans cause.

L’éveil est-il le but de l’existence ? Je dirais que non. Le but de l’existence est d’être et l’éveil est plutôt la réparation d’une torpeur due à une sorte de maladie mentale sans doute contractée à l’aube de l’humanité. Je reviendrai sur la cause de cette maladie plus tard. Quoiqu’il en soit, je ne comprends pas l’éveil comme un aboutissement, mais comme une guérison. Après, c’est juste normal, juste notre état normal. Pas de rencontre avec Dieu ni de réalisation spirituelle, pas d’expérience spirituelle même (l’expérience est une récupération du vécu par le mental). D’ailleurs la spiritualité apparaît comme une sorte de méthode pour arriver à cette libération, cette guérison, et son but atteint, elle n’a plus de sens. Plus de quête, plus de spiritualité. Reste la vie, la vie la plus ordinaire et le rire, le plus insensé !

Comment faire ?
Ce sont probablement les taoïstes qui ont raison avec leur logique insensée. Pas de sens, pas de mérite, rien qui puisse satisfaire les besoins de l’existence ou de la vie en société, juste n’importe quoi n’importe comment, tout peut faire l’affaire. Il ne reste donc qu’à lâcher le sens des choses, lâcher le sens du mérite. Et puis après, lâcher tout. « Pas ceci-pas cela » (Neti-Neti) : Tu n’es pas ceci ni cela est une méthode radicale, tout abandonner, tout réfuter…
Et plus que ne pas faire, il ne faut pas s’en faire : ça se fait de toute façon parce que l’éveil, la réalisation, n’est pas l’aboutissement mais le rétablissement d’une vie qui est déjà, mais dont on semble être coupé.

La souffrance.
Pendant une nuit obscure, Enflammée d’un amour inquiet… (La nuit obscure, Jean de la Croix)
mais, « …On peut ne pas craindre les dieux, pas craindre la mort, supporter la souffrance et connaître le bonheur… » C’est le quadruple remède d’Épicure. C’est l’éveil, la réalisation.
La souffrance ordinaire vient de la peur et se rajoute aux douleurs des accidents de l’existence. Le deuil ou la séparation amoureuse provoquent des souffrances intenses et perturbent l’organisme. J’ai des souvenirs précis de ces douleurs. En revanche, un désir ardent, très douloureux, m’a souvent levé de ma chaise dans la recherche de « l’éveil ». Mais je n’ai aucun souvenir de l’emplacement de ces douleurs. En fait, je me souviens de scènes où Matthieu souffrait le martyr comme Jean de la Croix ou comme la Sulamite (« Je suis malade d’amour… » Cant. II.5), mais mon corps n’en n’a gardé aucun souvenirs. C’est assez curieux pour être remarqué : le désir d’éveil donne une sensation bien spécifique que je ne peux plus apparenter à une douleur, mais à une force désirante, une sensation que j’aurais pu vivre d’une façon plus positive et joyeuse si j’avais pu l’identifier, la distinguer de la souffrance ordinaire de l’égo. Si vous « souffrez », vous pouvez essayer de distinguer la souffrance de l’égo de ce sentiment insupportable mais tellement vivant du désir d’éveil. Ce sera  réellement beaucoup plus agréable !

Le mérite
J’ai déjà évoqué le fait que l’éveil n’est pas une question de mérite. J’y ai consacré ma vie, une vie de labeur pour enfin être récompensé… Mais j’ai tellement l’intime conviction que le basculement (un mot pour dire ce moment d’éveil subit) a eu lieu dans ma jeunesse, et que je ne l’ai réalisé que bien plus tard. J’ai surtout le sentiment que cet état est simplement l’état naturel mais ignoré de chacun… Il ne dépend donc pas de nos mérites, mais de notre proximité avec notre nature. Les taoïstes disent « C’est une très bonne chose que l’homme bon s’éveille, mais c’est encore mieux quand c’est un mauvais homme »
Aujourd’hui, il semble qu’il y ait une libération des croyances sur l’éveil. Le résultat est qu’énormément de personnes s’éveillent qui n’ont jamais consacré un moment à la spiritualité… Des éveils spontanés ou produits par un simple accompagnement, un court apprentissage comme un autre en quelque sorte. C’est comme si nous vivions la fin d’une épidémie et que les malades guérissaient naturellement, et que les gens sains ne tombaient plus malade… Non, si j’ai consacré ma vie à l’éveil, c’était probablement parce que je pensais qu’il fallait le faire. J’aurais peut-être mieux fait de consacrer ma vie à vivre heureux, sur le moment…

Enfin, que faire ?
S’il est vrai que nous « sommes déjà éveillés », sans le savoir, alors vivre suffit, il est inutile de se compliquer la vie en y ajoutant des croyances sur les causes et les buts de l’existence. Hahnemann disait (Organon, Introduction) : « Chercher la cause de la maladie est inutile, on n’y arrivera jamais. Pour guérir, il faut simplement faire disparaître l’ensemble de ses symptômes de façon durable et on pourra considérer que la guérison est effective ». Pour l’éveil, c’est pareil, comprendre est inutile, il suffit de vivre…
Et pour finir, paraphrasant Crowley (introduction de « Magick, la magie est pour tous » », l’un des grands libérateurs du XX° siècle « L’éveil est pour tous ».

Matthieu Frécon , Sarreyer Juillet 2024.

 

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